Peynier le 2 novembre 2008
Discours de Jacques Chevtchenko
Dévoilement de la plaque en hommage aux légionnaires ukrainiens
au Rocher de la Garenne à Peynier (Bouches-du-Rhône)
Jacques CHEVTCHENKO
Président de l’Union des Français d’origine Ukrainienne
« Rocher de la Garenne », Peynier, Dimanche 2 novembre 2008
Pour le philosophe Aristote, « savoir c’est se souvenir ».
Qui savait vraiment encore, il y a deux ans, à quoi correspondaient ces gravures sur le rocher de Peynier et qui les avaient réalisées ?
Aujourd’hui, grâce à la municipalité de Peynier et son maire M. Christian Burle, à la Légion étrangère et à quelques personnes dévouées comme M. Roger Decome, qu’ils en soient tous chaleureusement remerciés, désormais nous savons, et par conséquent nous pouvons nous souvenir de l’engagement de ces hommes issus de l’émigration dite polonaise en France dont un quart étaient des Ukrainiens de Galicie.
Après la double agression germano-soviétique des 3 et 17 septembre 1939 et la capitulation polonaise du 28 septembre, suite à la réactivation d’un accord permettant la reconstitution d’une armée polonaise sur le sol français, le 15 décembre 1939, l’ambassadeur de Pologne en France lançait un appel sous les drapeaux à tous ses ressortissants.
Les Ukrainiens de Galicie immigrés en France, porteurs d’un passeport polonais, étaient donc tous concernés.
Des bassins houillers du Nord et des Cévennes au bocage bourbonnais, des aciéries de Lorraine et de Normandie aux champs de betteraves de l’est, la plupart de ceux-ci, rejoignent sans discussion les centres mobilisateurs de la 1e division d’infanterie polonaise à Coëtquidan (Ile-et-Vilaine) et des 2e et 4e divisions à Veluché dans les Deux-Sèvres.
Cependant, un nombre important de ces immigrés refusa cette incorporation dans l’armée d’un pays qui les opprimait et les considérait comme des sous-citoyens mais, comme le soulignait alors le commissaire principal de Nancy :
« En refusant leur incorporation dans l’armée polonaise, ces étrangers se mettent en infraction, bien qu’ils témoignent d’une vive et ardente volonté de combattre pour la France et contre l’Allemagne hitlérienne ».
Certains d’entre eux vont alors connaître l’incorporation de force, l’internement ou l’emprisonnement provisoire.
La solution viendra finalement de l’autorisation qui leur est accordée de s’engager au sein des 21e, 22e et 23e Régiments de Marche de Volontaires étrangers de la Légion étrangère aux côtés des républicains espagnols et d’autres ressortissants d’Europe centrale ou encore, pour ceux dont nous honorons aujourd’hui la mémoire, du Bataillon de Marche des Volontaires étrangers du dépôt de Sathonay de la Légion étrangère constitué à la hâte.
Quel que fut leur choix entre l’armée polonaise ou la Légion étrangère, dans les deux cas, ces hommes accomplirent leur devoir envers la France, leur pays d’accueil.
Le 13 juillet 1940, dans son dernier ordre adressé à ses hommes du Bataillon de Marche des Volontaires étrangers du Dépôt de Sathonay , le colonel Debas, commandant du Dépôt de la Légion, en témoignait lorsqu’il s’adressait à eux et félicitait « les vétérans et les jeunes légionnaires du Bataillon de Marche des Volontaires étrangers de Sathonay qui défendirent Lyon, dans des combats à armes inégales, contre un adversaire supérieurement entraîné et équipé ».
Il terminait par ce souhait : « Que la vie soit clémente pour tous ceux, jeunes et vieux légionnaires à qui rien ne peut être reproché, qui ont par leur vertus militaires maintenu dans la clarté l’émail de notre insigne de Sathonay et la pureté des couleurs de notre drapeau ».
C’est donc après ces durs combats aux abords de Lyon, combats auxquels n’oublions jamais d’associer les malheureux soldats africains du 25e Régiment de tirailleurs sénégalais, que les légionnaires ukrainiens se retrouvèrent à Peynier et dans quelques villages du pays d’Aix, véritables havres d’une paix momentanément retrouvée sous ces pins et le soleil de l’été 1940, avant d’être démobilisé quelques semaines plus tard à Fuveau.
La commémoration est un phénomène social profondément ancré dans le milieu d’où elle est issue. Elle est à la fois une expression de l’identité, une manifestation de la mémoire et joue donc un rôle patrimonial.
Rien n’est plus juste aujourd’hui que la valeur de cet acte collectif auquel nous tous participons tous ici présents, habitants de Peynier, légionnaires, anciens légionnaires et Français descendants d’immigrés, et à qui nous attribuons un rôle significatif dans ce processus continu de construction identitaire qui a vu se fondre des immigrés et leurs enfants dans la nation française et ses valeurs.
Pour nous, Français d’origine ukrainienne, il y a un peu encore lorsque nous avons découvert l’existence de ce lieu et de son contexte historique, nous ne pouvions imaginer une réponse positive si rapide de la municipalité de Peynier et de la Légion étrangère, d’abord par le baptême du sentier aujourd’hui par le dévoilement de cette plaque.
Nous sommes reconnaissants à la municipalité de Peynier, et particulièrement à vous monsieur le maire lorsque que je vous ai écrit il y a deux ans, et à la Légion étrangère qui n’oublie jamais les siens, de l’hommage que vous rendez aujourd’hui à ces hommes pour la plupart disparus.
Cet honneur, nous le ressentons aussi pour tous ceux qui donné d’eux-mêmes en ces temps difficiles, parfois jusqu’à leur vie, mais aussi pour nous-mêmes, leurs descendants.
Si histoire et mémoire sont quelquefois en conflit, bien que l’une alimente parfois l’autre, c’est aujourd’hui en pleine communion de l’une et de l’autre que nous sommes aujourd’hui réunis, aussi, nous devons avoir une seule pensée entièrement tournée certes vers ceux qui étaient près de ce rocher, mais aussi vers tous ceux qui ont donné leur vie pour la France, pays qui les avait alors accueillis et qui est devenu le nôtre.
Je vous remercie.
Jacques Chevtchenko
Peynier, Dimanche 2 novembre 2008
Photos de la cérémonie du 2 novembre 2008
A la fin de cette commémoration, les membres de l’Amicale des anciens de la Légion Etrangère (AALE) nous proposent de faire un jumelage entre leur Amicale et les Ukrainiens « qu’ils soient de France ou d’Ukraine, anciens légionnaires ou descendants des Volontaires Ukrainiens, voire simples sympathisants de la Légion ».
C’est alors que nous avons créé : l’Association des Descendants des Volontaires Ukrainiens de la Légion Etrangère-ADVULE-
Désormais la cérémonie organisée chaque année le 2 novembre permettra de « nous recueillir ensemble dans la fidélité à la mémoire des combattants Ukrainiens ».
La presse régionale
La ville de Peynier et la Légion étrangère ont rendu hommage aux volontaires ukrainiens engagés dans la Légion étrangère
Une émouvante cérémonie de dévoilement d’une plaque en l’honneur des légionnaires ukrainiens de la seconde guerre mondiale s’est déroulée à Peynier (Bouches du Rhône), le 2 novembre 2008, en présence de nombreuses personnalités françaises et ukrainiennes.
En 1939 et 1940, soucieux de défendre leur pays d’accueil, plus de 5000 Ukrainiens immigrés en France s’engagèrent dans la Légion étrangère et prirent part aux combats au sein des 21e, 22e et 23e Régiments de Marche de Volontaires étrangers, d’unités régulières et du Bataillon de marche formé au dépôt de Sathonay (Ain).
Les engagés volontaires incorporés au dépôt de la Légion étrangère de Sathonay formèrent un bataillon de marche intégré au groupement du général de Mesmay envoyés vers Grenoble. Après l’armistice, 900 Ukrainiens de ce bataillon de marche du dépôt de Sathonay furent dirigés sur les communes de Peynier et des environs où ils séjournèrent du 8 au 29 juillet 1940 avant d’être démobilisés à Fuveau (Bouches du Rhône).
Profondément attachés à une patrie qui n’existait pas en tant qu’état, ces légionnaires ukrainiens ont affirmé leur forte identité nationale en gravant et peignant des inscriptions et des symboles ukrainiens sur le rocher de la Garenne afin de perpétuer le souvenir de leur présence à Peynier et de rappeler leur devoir envers la France en cette période difficile de son histoire nationale.
La préservation du site du rocher de la Garenne a été initiée par M. Jacques Chevtchenko, président de l’union des Français d’origine ukrainienne, professeur d’histoire, et a été soutenue par la
Légion étrangère ainsi que par M.Christian Burle, maire de Peynier, et son conseil municipal, en partenariat avec la communauté du pays d’Aix.C’est en 2007 que le chemin menant au rocher de la Garenne a été baptisé « Sentier des volontaires ukrainiens ».